Et si l’EHPAD devenait un endroit branché ?
EPHAD et innovation sociale : rencontre avec « Les Jardins d’Haïti » à l’occasion d’une Learning Expedition à Marseille
Alors que la population vieillit, la question de la qualité de vie et des soins offerts dans les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) devient de plus en plus cruciale. Face à la crise systémique qui touche ces établissements quel futur imaginer pour ces lieux ? Comment permettre à nos anciens d’avoir une fin de vie heureuse ?
À l’occasion d’une Learning Expedition à Marseille avec le groupe CNP Assurances pour découvrir l’écosystème innovant de la ville, nous avons rencontré Laurent Boucraut, directeur des Jardins d’Haïti, une maison à vivre accueillant personnes âgées, étudiants et travailleurs. Un témoignage passionnant qui a fait de cette visite le coup de cœur unanime des participants !
Les Jardins d’Haïti réinventent le modèle de l’EHPAD en proposant un lieu de vie où se croisent toutes les générations. En quelques années, Laurent Boucraut a radicalement transformé ce lieu en passant d’une gestion comptable à une gestion humaine avec comme seul KPI le bien-être des résidents. En quoi le modèle des Jardins d’Haïti est-il révolutionnaire ?
Les EHPAD français souffrent d’une mauvaise réputation
Les EHPAD souffrent aujourd’hui en France d’une image négative. Selon une étude de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), 59 % des résidents d’EHPAD expriment des sentiments de solitude, et 28 % se sentent anxieux.
En 2020, un rapport de la Cour des comptes a également souligné des lacunes importantes dans la qualité des soins et des conditions de vie dans de nombreux établissements. Cette perception est renforcée par des incidents médiatisés de maltraitance et de négligence, ce qui alimente un climat de méfiance envers ces institutions.
Les EHPAD sont ainsi généralement perçus comme des “lieux de fin de vie” où les personnes âgées perdent leur autonomie et leur dignité. Le manque de personnel qualifié, les infrastructures obsolètes, et les contraintes budgétaires sont des facteurs qui contribuent à cette image sombre.
Pourtant, les EHPAD jouent un rôle indispensable dans le soutien aux personnes âgées dépendantes, offrant des services de santé essentiels et un environnement sécurisé. Les efforts récents pour améliorer la formation du personnel et renforcer les contrôles de qualité visent à remédier aux problèmes identifiés et à restaurer la confiance du public.
Ces dernières années, des initiatives ont émergé pour réinventer le modèle traditionnel des EHPAD : des institutions comme les Jardins d’Haïti à Marseille proposent des lieux conçus comme de véritables communautés de vie, prenant le contrepied de l’EHPAD traditionnel.
Les Jardins d’Haïti : une histoire de famille
L’histoire des Jardins d’Haïti est intimement liée à la famille Boucraut. Créé par l’arrière-grand-mère de Laurent Boucraut dans les années 1950, cet établissement a été repris par ce dernier en 2006. Laurent, animé par une vision novatrice et suivant la volonté initiale de son père, a entrepris de transformer l’EHPAD en un lieu chaleureux et dynamique, s’éloignant du modèle traditionnel souvent critiqué.
La transformation d’un EHPAD en « maison à vivre »
Laurent Boucraut a su insuffler une nouvelle vie à cet établissement en mettant l’accent sur l’innovation sociale et le bien-être des résidents. Après avoir remporté l’Appel d’Offre “Un tiers-lieu dans un EHPAD” de l’ARS (Agence régionale de santé) et la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) en 2021, le dirigeant se voit octroyer 120 000€ pour mener à bien son projet de transformation.
Ici, l’EHPAD n’est pas simplement un lieu de résidence pour personnes âgées mais une partie intégrante d’une communauté plus large. Le mélange intergénérationnel au cœur de cette approche a été permis par une suite d’aménagements : création d’une crèche en 2020, d’un espace de coworking la même année, de logements étudiants en 2022 et enfin d’une école de musique en 2023.
Avec cette nouvelle configuration et un nouveau style de management, Laurent a pu constater autre chose : la fierté et l’épanouissement de son équipe. Ce bien-être se reflète dans une statistique impressionnante pour l’industrie : un taux de rotation du personnel de 0 % parmi les employés en CDI, et une liste d’attente très longue de soignants souhaitant rejoindre l’équipe alors même que les l’EHPAD traditionnels font face à un turnover important et à une pénurie de talents.
Une stratégie gagnante basée sur le bien-être des résidents et des communautés
Ce modèle de « maison à vivre » présente de nombreux avantages. Le contact quotidien entre les générations crée une atmosphère vivante et stimulante. Les résidents bénéficient de l’énergie des plus jeunes tandis que les étudiants et les jeunes enfants profitent de l’expérience et de la sagesse des aînés.
Ce cadre favorise ainsi la cohésion sociale et réduit l’isolement des personnes âgées tout comme celui des enfants habitués à ne côtoyer au jour le jour que des garçons et filles de leur âge. Ici, ils apprennent à ne pas crier, à ne pas bousculer, à vivre aux côtés de personnes dépendantes et parfois fragiles.
Financièrement, le modèle des Jardins d’Haïti reste compétitif par rapport aux l’EHPAD traditionnels puisque depuis 2021 le système s’auto-finance grâce à une gestion intelligente des ressources et à des partenariats locaux. Les activités complémentaires, comme la crèche ou encore le restaurant, viennent soutenir le système économique de la maison à vivre.
Fort de son succès, le lieu, qui accueille 93 résidents sur 5500 m², affiche un taux d’occupation de 100% et là encore une très longue liste d’attente, à l’inverse des autres établissements de la région pour la plupart remplis à seulement 80 ou 90%. Un véritable problème quand on sait qu’en moyenne un EHPAD doit afficher un taux d’occupation de 93-94% pour être rentable.
Et si l’innovation sociale résidait en fin de compte dans la richesse du contact humain et des connexions intergénérationnelles ? Les Jardins d’Haïti prouvent en tout cas que privilégier la richesse humaine plutôt que la rentabilité financière est un pari gagnant.
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