Quand l’imagination se met au service de l’innovation, on parle de Design Fiction. Dans cette méthode collaborative entre design et science-fiction, anticiper le futur passe par la projection et par la réflexion prospective. Comment les entreprises utilisent-elles le Design Fiction pour préparer l’avenir ? D’où vient cette pratique et en quoi consiste-t-elle exactement ? Voici quelques éléments de réponse dans cet article.
Le Design Fiction, qu’est-ce que c’est ?
Le Design Fiction est une méthode d’exploration du futur qui confronte différentes hypothèses d’évolution de la société et des tendances, pour voir lesquelles sont préférables. Dans cette pratique agile, on étudie des signaux faibles, sur lesquels le design fiction s’appuie pour imaginer différents scénarios.
Pour reprendre la définition du maître de la science-fiction et du Design Fiction, Bruce Sterling :
“Le Design Fiction est une approche prospective (visant à faire émerger des idées en imaginant une situation future) utilisant les techniques du design, du prototypage, de la narration ou encore de la vidéo. ”
Faire du Design Fiction, c’est donc expérimenter le futur en faisant appel à ses capacités créatives pour envisager différents scénarios avec agilité. On maquette et on réalise des prototypes d’objets, de services et de process, de la façon la plus vraisemblable possible. Puis, il s’agit de mettre en place et de tester les prototypes auprès des utilisateur·ices pour explorer l’impact émotionnel des solutions élaborées, leur acceptabilité et leur pertinence en termes de futur souhaitable.
Le Design Fiction, ça vient d’où ?
Le premier à initier des ateliers de Design Fiction (cela ne s’appelait pas encore comme ça !), c’est Robert Jungk, dans les années 1950. L’écrivain et journaliste allemand fédère alors les citoyen·nes autour d’un futur préférable dans ses « Ateliers de l’Avenir ».
En donnant la parole à la population, Jungk reconnaît qu’elle forme un immense réservoir pour générer des idées et met en valeur le potentiel de la pensée créative pour inventer le futur et déployer des projets concrets.
Il introduit les premiers concepts de Design Fiction à travers des outils comme les « vidéo guérillas » qui critiquent les visions médiatiques de l’époque. D’autres nouvelles expériences sont développées, comme l’immersion dans la vie quotidienne du futur ou encore l’intégration des imaginaires de la science-fiction dans les écoles pour cultiver une culture de la projection.
C’est finalement en 2005 que la méthodologie est véritablement formalisée par Bruce Sterling, dans son ouvrage Shaping Things. Le futurologue et auteur américain du mouvement cyberpunk nous interroge sur l’impact que nous pouvons avoir — ou non — sur notre futur.
Dans ses travaux de prospective, l’idée consiste à ouvrir le débat, plutôt qu’à résoudre un problème. À inviter à réfléchir sur notre avenir en mode collaboratif.
Comme il le dit lui-même dans une interview au journal Le Monde : « je suis un futuriste qui aime critiquer ce qui n’existe pas encore. »
Le Design Fiction, on l’utilise dans quels secteurs ?
Comme nous l’avons vu, le Design Fiction a d’abord été utilisé dans la sphère politique pour favoriser le débat et la démocratie.
Il y est d’ailleurs encore très utilisé comme à travers le programme d’intelligence artificielle Watson qui se présente aux élections américaines en 2016, ou encore la fausse émission de JT montée par Philippe Dutilleul en Belgique pour annoncer l’indépendance de la Flandre en 2006.
Mais cette méthode permet également de mettre en lumière des problématiques d’ordre sociologique, éthique, écologique, politique, pour aider les entreprises (les grands groupes comme les startups) et les agents publics à anticiper les changements sociétaux.
Et en entrepreneuriat, cela concerne tous les secteurs ! Le retail, la santé, l’énergie, le transport, la banque et l’assurance — et toutes les strates de l’entreprise, du technicien·ne au COMEX. Toutes doivent développer des capacités d’adaptabilité de manière concrète pour faire face à un monde en grande évolution.
Dans Step Back, le livre de notre co-fondatrice, Léa Scher raconte sa rencontre avec la futuriste Sylvia Gallusser. La spécialiste du domaine prône la projection pour l’anticipation du futur à travers le Future Thinking. D’après Sylvia, cela peut concerner tous les porteurs et porteuses de projets innovants :
- un grand groupe qui veut se transformer en prévision des changements à l’œuvre dans son secteur (transformation digitale par exemple) ;
- des décideurs qui veulent mettre en place des nouvelles méthodes de management ;
- une start-up qui veut lancer un nouveau design produit selon un cahier des charges ;
- un investisseur qui veut trouver les prochaines pépites ;
- une ville qui veut s’intéresser au sujet du vieillissement pour mieux accueillir les citoyens seniors, un hôpital, une école qui doit se préparer en vue de prochaines pandémies.
Les applications sont illimitées pour les designers !
Quand fait-on du Design Fiction ?
Les organisations et les startups utilisent le Design Fiction pour plusieurs raisons :
- Se rassurer quant à l’évolution d’un métier ;
- Définir une orientation stratégique ;
- Innover en créant un nouveau produit ou un nouveau service ;
- Réfléchir à l’avenir de son secteur ;
- Anticiper l’impact d’un nouveau produit ;
- Questionner la culture d’une entreprise.
- Participer à un futur plus durable
Chez Future Agency, nous nous entourons des esprits les plus créatifs en recherche prospective. Avec eux, nous explorons le futur pendant des ateliers destinés à créer des scénarios prospectifs et aider les entreprises à préparer leur futur avec un programme innovant.
Dans nos workshops de Design Fiction, véritables laboratoires d’innovation, on s’appuie sur des techniques d’idéation et des outils de brainstorming pour imaginer des solutions créatives dans le cadre de la démarche d’innovation participative des entreprises.
Autour de ces ateliers de créativité, nous proposons des interventions originales et inspirantes pour driver les équipes vers des résultats concrets, afin d’innover dans une thématique ou une problématique spécifique.
Le résultat de la projection fictive existe déjà en termes de design des produits : les objets connectés, les assistants virtuels, les voitures autonomes, les robots domestiques… on constate tous les jours la rapidité de déploiement de la technologie avec l’IA générative ! Ces innovations ont un impact considérable sur les pratiques, les métiers, les interactions humaines.
Nos exemples de Design Fiction préférés
Le catalogue IKEA connecté
Le Near Future Laboratory a construit avec IKEA un catalogue imaginant et mettant en scène les produits du futur facilités par l’IoT.
La forme de ce catalogue paraît plus vraie que nature : les codes visuels de la marque, les légendes, les photographies, les prix sont ceux d’un catalogue Ikea. Par contre les produits… pas vraiment !
Au détour d’une photo d’étagère, on découvre ainsi que l’on peut s’abonner à la librairie « Nyfiken » et obtenir des nouvelles de Google, des articles sur les tendances, des extraits de livres et des films livrés numériquement. À la page suivante, on nous invite à prendre un autre abonnement pour un lit, une couette, un gel douche ! En jouant sur cette idée d’abonnement, Near Future Lab présente le phénomène Netflix et Spotify (économie de l’usage et non de la propriété) vers un futur possible de notre société.
L’industrie biotechnologique selon Marry Maggic
Dans le projet Egstrogen Farms (maggic.ooo), l’artiste et biologiste Marry Maggic questionne « la domestication des capacités reproductives des femmes par l’industrie biotechnologique » à travers les thérapies hormonales pour l’insémination artificielle notamment. Dans son œuvre, l’entreprise de cet univers fictif, Egstrogen Farms, commercialise les œufs en mode OGM à des fins reproductives.
L’artiste développe un ensemble de contenus : des vidéos DIY pour permettre aux femmes de produire leurs propres hormones, le projet « Open Source Oestrogen » et des fausses publicités d’une compagnie « egstro-eggs ® » vendant des œufs de poules pour aider les femmes à augmenter leur fertilité.
La multiplication des contenus, des acteurs (fictifs) et des supports permet de générer une vision d’autant plus crédible qu’elle entre en résonance avec différents aspects de notre quotidien.
Pour anticiper les futurs possibles, tendre vers un avenir souhaitable et concevoir des usages adaptés, le Design Fiction puise dans l’imaginaire du collectif, mais aussi des équipes en entreprise et des artistes. Cette méthode puissante permet d’ouvrir le débat et d’élargir les possibilités d’innovation, pour co-créer l’avenir dès à présent.
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